1970 – Le Monde – Quel avenir pour la voie d'eau ?
Au début des années 1970, la voie d'eau semble subir une relative désaffection. Les projets tardent à ce concrétiser, les financements s'en détournent. C'est la tonalité de plusieurs articles, dont « L'autoroute : Priorité sur le canal », du 14 décembre 1970, par Christian Hovelacque. L'article fait le point sur les équipements de transport réalisés en Franche-Comté dans le but d'attirer les industries. L'auteur témoigne du recul de la croyance dans les vertus fécondantes d'un canal à grand gabarit entre mer du Nord et Méditerranée, moins adapté à la nouvelle géographie industrielle telle qu'elle se dessine.
« De plus en plus, l'industrie lourde se concentre sur quelques points forts du littoral et, à côté des industries nouvelles " propres " et à fortes plus-values, la sidérurgie ou la grosse chaudronnerie ont beaucoup perdu de leur prestige. En outre, la construction du pipe-line sud-européen, puis son doublement privent le canal d'une part importante du trafic escompté. »
Seuls certains industriels gros clients de la SNCF restent intéressés par l'exacerbation de la concurrence et la baisse des prix du fret par le rail qu'un tel canal produirait.
« La société Peugeot, en particulier, qui est représentée à la CODER par un de ses anciens directeurs, estime que cela lui permettrait de transporter à bon compte ses automobiles vers l'Allemagne, l'Alsace, et ultérieurement, si la liaison Rhin-Rhône devenait un jour une réalité, vers Lyon et le Midi. Mais ni ces avantages directs et limités ni le "pouvoir fécondant" du canal n'ont suffi à convaincre les pouvoirs publics de dépasser le stade des pieuses déclarations et d'engager des travaux, dont le coût est évalué, pour le tronçon Mulhouse - Saint - Symphorien, à environ 2 milliards de francs. »
On s'intéresse davantage à l'autoroute A36 qu'au canal
L'intérêt des Francs-Comtois se tourne, toujours selon le journaliste, vers la future A 36, l'autoroute qui joindra bientôt la rive droite du Rhin à l'A6 au niveau de Beaune, en passant par Mulhouse, Montbéliard et Besançon. Cette voie fait l'unanimité au sein de la Commission de développement économique régional (CODER), malgré des interrogations sur sa rentabilité. En dépit d'un trafic estimé à 8 000 véhicules/jour prévus dans les années suivant son inauguration, elle resterait plus intéressante qu'un nouveau canal. La région, d'après l'article, serait mal équipée en routes de qualité dans cette vallée peuplée et industrielle qu'est la vallée du Doubs. Il mentionne aussi un projet de la SNCF pour un « turbotrain » entre Strasbourg et Lyon, via Besançon. Turbotrain est la dénomination de ce qui deviendra le TGV, dont le prototype fonctionnait avec une turbine à gaz. C'était les débuts du projet de TGV Rhin-Rhône.
C'est à cette époque que sont aménagés les aéroports de Dole-Tavaux et de Belfort-Fontaine. La Franche-Comté ne connaît pas de difficultés particulières et, remarque l'auteur, « Sa santé tendrait même à prouver que l'expansion et la prospérité ne sont pas, comme on l'entend trop souvent dire, exclusivement liées à la présence d'autoroutes et de canaux. »
Comme en réaction à cette désaffection pour les projets de grands canaux, l'Association nationale de la navigation fluviale donne de la voix, dans Le Monde du 4 novembre de cette années 1970. Dans le budget 1971, remarque-t-elle, les dotations d'équipement pour le fluvial diminuent de 20 % par rapport à l'année précédente (157 millions de F, outre les 60 millions de F pour la CNR qu'elle ne prend pas en compte). Et, avec les retards pris, les objectifs fixés pour le Ve Plan (1966-1970) ne pourront être réalisés avant 1975, estime l'ANNAF.
C'est le défilé des plaideurs. Le 30 novembre 1972, Jacques Trorial, président du Comité français de liaison pour la promotion de la voie d'eau, présente ses doléances. Donnant l'exemple du dynamisme du trafic sur la Seine et de la rentabilité des investissements sur cette voie, il demande l'achèvement de la canalisation du Rhône et de la Saône jusqu'à Auxonne et l'interconnexion des tronçons à grand gabarit. La priorité doit, selon lui, être donnée à la liaison Seine-Canal de Dunkerque à Denain, puis Rhin-Rhône par sa branche alsacienne et enfin Seine-Rhin par la Moselle. Pour réaliser ce programme, il espère un doublement des crédits pour le milieu de la décennie, ainsi que la recherche de « moyens de financement originaux ».