1975 – Le Monde – Des poids lourds politiques dans la balance.

1975, un article du Monde relate un déplacement à Dijon du chef de l’État, Valéry Giscard d'Estaing, avec son premier ministre, le ministre de l'Intérieur et celui de l’Équipement, Robert Galley. Ils participent à la conférence interrégionale pour la promotion de la liaison Rhin-Rhône, répondant à l'invitation du président du conseil régional de Franche-Comté, Edgar Faure.

Mais qu'est-ce que cette conférence ?

« La conférence interrégionale pour la promotion de la liaison Rhin-Rhône groupe les bureaux des conseils régionaux et des comités économiques et sociaux d'Alsace, de Franche-Comté, de Bourgogne, de Rhône-Alpes, de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du Languedoc-Roussillon. Cent cinquante personnes environ représentaient ainsi, à Dijon, les six établissements publics régionaux concernés par le projet. Lors de la première réunion, en juillet dernier, à Besançon, la conférence avait notamment demandé au gouvernement que les travaux pour terminer l'ouvrage soient entrepris dès le début du VIIe Plan. »

L'auteur de l'article, François Grosrichard, décrit le projet Rhin-Rhône tel qu'il est envisagé à l'époque. Il s'agit de relier la Méditerranée à la mer du Nord par une voie fluviale au gabarit européen. Le canal entre Saône et Rhin devra faire 229 km de long et comportera vingt-quatre écluses. Son coût est évalué à 5,9 milliards de francs. Gaston Defferre, maire de Marseille et président du conseil régional de Provence-Côte d'Azur, suggère de financer le projet en coopération avec les pays de l'Est.

Suit le discours du président, qui expose sa vision de la géopolitique du canal et de l'aménagement du territoire.

« Il est naturel que, dans l'effort de longue haleine entrepris par la France pour porter son équipement au niveau des pays les plus modernes, le développement de nos communications par eau se situe en bonne place. Dans ce cadre, la mise à grand gabarit du canal de la Saône au Rhin s'impose comme une nécessité tracée par la géographie et par l'économie. Elle permettra de raccorder le réseau français du Sud-Est au réseau très ramifié de l'Allemagne et du Benelux et par-delà à toute l'Europe navigable, grâce à la réalisation de l'axe Rhin-Main-Danube. Ce projet met l'ensemble de l'Europe industrielle en communication directe avec le bassin méditerranéen. Il vient au moment où les pays de la Méditerranée et du golfe Persique s'industrialisent et se développent à leur tour. Il est d'intérêt européen que cette liaison soit établie. Il est d'intérêt national qu'elle soit établie sur notre territoire.

Bien entendu, la réalisation d'un tel projet, qui mobilisera une fraction appréciable des ressources que l'État peut consacrer à notre effort d'infrastructure, doit prendre place dans une politique d'ensemble du développement des transports de marchandises et en particulier dans la politique des voies navigables. C'est donc au Plan, organe de concertation et de répartition des ressources et des efforts de la nation, qu'il appartiendra d'arrêter dans ce domaine les arbitrages essentiels Toutefois, dès à présent, il apparaît que l'effort général entrepris par le pays pour s'équiper en voies navigables devra, de toute manière, être significativement augmenté. Aussi, et sans négliger d'autres travaux de même nature dont l'utilité a également été mise en évidence, il me paraît possible d'inviter le gouvernement à prendre dès maintenant, en ce qui concerne l'achèvement du canal du Rhône au Rhin, deux décisions engageant concrètement et définitivement la réalisation de cet ouvrage et permettant ainsi de faire, au lieu de dire.

À ma demande, le ministre de l'équipement va approuver l'avant-projet technique du canal. Les enquêtes publiques pourront ainsi être lancées et les déclarations d'utilité publique prononcées. Les acquisitions foncières pourront alors être engagées. Bien entendu, il conviendra que vos régions participent à l'effort nécessaire pour effectuer ces acquisitions.

Il n'est pas indispensable d'attendre que la totalité des terrains soit acquise pour entamer la réalisation physique des travaux. Aussi les travaux seront donc entrepris, en commençant par l'Alsace, au cours du VIIe Plan lui-même. »

Ce qui ressemble fort à un engagement ferme n'est pas un blanc-seing accordé aux promoteurs du canal.

« Sans doute, certains d'entre vous souhaiteraient-ils que je complète l'annonce de ces deux décisions par celle du calendrier de réalisation et d'achèvement. Il est clair que le gros de l'ouvrage devra être réalisé pendant le VIIIe Plan. Mais si nous ne devons pas aller plus loin aujourd'hui, c'est en fonction des trois considérations suivantes :

Un projet de cet ampleur doit être harmonisé avec les autres ambitions d'équipement national. C'est le travail même du Plan, à moins de le vider de son contenu. Le calendrier détaillé sera donc de la responsabilité du Plan dont les parlementaires qui siègent ici auront eux-mêmes à débattre.

Il faut veiller à ce que cette priorité au sein des grands travaux envisageables soit effectivement acceptée et retenue par les régions concernées, et que le calendrier traduise à cet égard des choix acceptables pour elles.

Il faut s'assurer enfin de la symétrie entre la réalisation de cette grande voie d'eau à l'est, et de l'aménagement de notre façade maritime à l'ouest. En annonçant aujourd'hui ces décisions, j'ai conscience de répondre à une longue attente des populations que vous représentez. J'ai conscience aussi d'engager le pays dans un ouvrage dont la construction lui permettra d'être présent à un grand rendez-vous économique et géopolitique, au rendez-vous de l'Europe de la fin de la prochaine décennie. Ce grand projet atteste la volonté de la France de se donner, lorsqu'elle ne les a pas encore, les infrastructures d'un pays industriel très avancé. Il témoigne aussi pour la vitalité de certaines réalités locales. »

Ce discours est prononcé dans le contexte de la mise en application de la loi de décentralisation de 1972, qui institue les régions comme établissements publics.