Maistre : Sur les études économiques des liaisons fluviales à grand gabarit Seine-Nord et Saône-Rhin
Le rapport de 1978 du Conseil général des Ponts et Chaussées (groupe de travail présidé par Robert Boeuf) était très favorable à la construction d’un canal Rhin-Rhône à grand gabarit. Le rapport présenté ici (Claude Maistre) date de 1994 porte sur les projets Seine-Nord et Rhin-Rhône. La tonalité a quelque peu changé.
Des goulets d'étranglement
Le CGPC commence par mettre en doute l’adéquation du gabarit Vb (écluses de 190m de long, 12m de large et 3 m d’enfoncement) pour Seine-Nord. Il dépendrait d’aménagements sur le réseau belge pour qu’une continuité à ce gabarit soit assurée vers l’Europe du nord. Sans travaux supplémentaires, le Vb serait un luxe inutile. Sur Rhin-Rhône, le rapport note que la traversée sinueuse de Lyon limite les convois à 120 m, impose le découplage à ceux de 185m et une circulation alternée. À cause des ponts, vingt et un jours par an le tirant d’air est inférieur à 6 mètres, ce qui est préjudiciable au transport de conteneurs. Il pose ainsi la question des goulets d’étranglement.
Des experts mais pas d'accord
Sa critique de l’analyse de report modal dans le projet Seine-Nord est spécialement intéressante. Cette analyse base ses prévisions de report vers la voie d’eau exclusivement sur des considérations de coût. En outre, elle prend un niveau de prix qui surestiment l’avantage du fluvial par rapport au rail et à la route. Le rapport défend l’idée suivante :
«l’économie procurée par la voie d’eau ne profite pas nécessairement au fluvial compte tenu des fortes capacités de réaction tarifaire des autres modes (alignement du fer), du coût de la manutention imposé par les ruptures de charges et les transports terminaux et des difficultés d’équilibrage des frets en retour, et de l’existence de chaînes logistiques performantes, le plus souvent maîtrisées par des intérêts routiers (...) Les différences de coût ne constituent pas le critère de choix modal unique ni même principal. Les considérations de praticabilité (en fonction de la taille des lots), de fiabilité (dans les délais d’acheminement), de sécurité (dans la conservation des produits), de fréquence et de régularité (bien adapté aux rythmes de livraison) ont été mis en avant (par les entreprises utilisatrices) ».
Ce constat froid n’est pas celui de la mort du fluvial mais l’affirmation que son rebond dépend moins du gabarit de quelques liens que d’une modernisation des flottes, de services plus réguliers et réactifs, de l’organisation de chaînes logistiques intégrant la voie d’eau.
Finalement, si on considère que les experts d’hier sont aussi compétents que leurs successeurs, on se pose la question de l’influence de l’opinion du commanditaire ou même de l’esprit du temps dans la formation de recommandations d’experts sensées être neutres.
Présentation faite par le Clac en 1997:
Le Conseil général des Ponts & Chaussées est compétent en matière d’équipement, d’environnement, d’urbanisme, de logement, de transports, de génie civil et de bâtiment pour les questions qu’ont à traiter les services relevant des ministres chargés de l’équipement, des
transports, de l’environnement et de la mer. Il assure l’inspection générale de l’équipement et de l’environnement. Fin 1993, le ministère des
Transports lui a demandé son avis sur les études économiques des projets Seine-Nord et Saône-Rhin.
Le rapport qui en résulte est très critique sur les études économiques menées par des bureaux d’études (NEA et SOGELERG) et par la Compagnie nationale du Rhône. Les trafics potentiels des voies d’eau projetées ont été nettement surestimés par les promoteurs des projets. À l’inverse, les coûts des travaux ont été sous-estimés.
Ce rapport “explosif” eut une influence décisive sur l’abandon du projet de canal Rhin-Rhône. Remis au ministère des Transports fin 1994, au moment même où était votée la loi Pasqua, qui prévoyait le financement du grand canal par EDF il est resté longtemps secret. À la suite de demandes répétées du collectif Saône & Doubs vivants – WWF, après avis positif de la Commission d’accès aux documents administratifs et
plusieurs mois de temporisations, c’est seulement en mars 1996 que cette expertise du Conseil général des Ponts & Chaussées fut communiquée aux opposants à Rhin-Rhône, qui s’en sont largement servi pour démontrer l’imposture économique des partisans du grand canal.