1996 – Le Monde – Début des acquisitions
L'opposition de nombreux hauts fonctionnaires à la construction du canal Rhin-Rhône a fini par exaspérer certains élus locaux parmi les plus actifs dans le soutient au projet. Raymond Barre est de ceux-là, il pousse un « coup de gueule », comme titre Le Monde du 11 octobre 1996. L'ancien Premier ministre lance un appel en forme d'ultimatum.
« Si, pour des raisons qu'il lui appartient d'apprécier, le gouvernement, contrairement à ses déclarations publiques antérieures, contrairement à la volonté du Parlement, contrairement aux propos du président de la République, ne veut pas réaliser ce projet dans le cadre de l'actuelle DUP [la déclaration d'utilité publique, signée par M. Barre en 1978 et prorogée en 1988, qui vient à expiration en juin 1998], le premier ministre doit en informer le Parlement. »
Il attend que soit levée l'interdiction d'exproprier, décidée en août 1995. La réponse lui parvient le mois suivant, quand Alain Juppé, le chef du gouvernement, engage les procédures d'acquisition des terrains sur le tracé du projet. Le Monde du 21 novembre, dans un article titré « Le feu vert est donné à la réalisation du canal Rhin-Rhône », note que la Sorelif pourra procéder à des acquisitions à l'amiable ou à des expropriations. Une prime de 100 000 francs en plus du prix d'achat est prévue pour dédommager les agriculteurs dont les terrains seront amputés. L'article note qu'un recours gracieux en annulation de la DUP a été déposé par 18 associations, le 12 novembre.
« Le premier ministre a quatre mois pour répondre à cette requête ; à défaut, le Conseil d’État sera saisi. "La DUP a été rendue obsolète par le changement profond des contextes économiques et réglementaires [loi sur l'eau de 1992, loi sur les paysages…], mais aussi scientifiques", explique Monique Coulet, responsable du collectif et spécialiste de l'hydrologie, qui ne manque jamais de souligner que si "la voie d'eau est un mode de transport écologique dans son fonctionnement, elle ne l'est pas dans son infrastructure". »
Feu orange
Rapidement, une opposition se manifeste au sein même du gouvernement Juppé. Corinne Lepage (ministre de l'Environnement) et Anne-Marie Idrac (secrétaire d'État aux Transports) publient une synthèse de la consultation des populations concernées par le projet. Elles s'appuient sur les préoccupations exprimées pour demander une nouvelle étude d'impact plus poussée. Des experts spécialistes des questions d'écologie devraient la piloter.
« Les deux ministres souhaitent en outre leur "donner les moyens de travailler" afin qu'ils évaluent les effets directs ou indirects du projet, tels que les crues et la maîtrise des inondations, l'approvisionnement en eau du "bief de partage" en période d'étiage, les conséquences du fleuve artificiel sur les paysages et les écosystèmes des zones humides ou la réutilisation des millions de tonnes de déblais. De grands passages de la copie pourraient donc être revus à l'occasion de cette nouvelle étude. »
Ce nouveau délai traduit des divergences de vues entre Alain Juppé et ses deux ministres :
« Parallèlement, les ministres ont présenté le rapport complémentaire de la commission d'experts qui, tout en donnant quitus au préfet, formule de nombreuses réserves. Les experts font ainsi savoir qu'ils auraient aimé voir figurer dans la synthèse officielle, trop "fortement aseptisée", le fait que « quatre avis exprimés sur cinq étaient à ranger du côté des opinions négatives ». Enfin, ils observent que "l'interview de Monsieur le premier ministre dans Le Progrès du 20 octobre [estimant que le canal devait être achevé] a jeté un doute sérieux sur l'utilité de la consultation et la réalité de la prise en compte de ses conclusions" ».