1994 – Le Monde – Dispute autour de la rente de la CNR
La relance du projet Rhin-Rhône sous le gouvernement d’Édouard Balladur est liée aux décisions sur l'avenir de la Compagnie Nationale du Rhône (CNR). À ce moment, le gouvernement préparait la privatisation de Pechiney. Certains, comme son patron Jean Gandois, plaidaient en faveur d'un rapprochement avec la CNR. L'électricité à faible coût des barrages aurait rendu le producteur d'aluminium très compétitif, sachant que cette industrie consomme d'énormes quantités d'électricité. EDF voulait continuer à acheter à prix coûtant le courant du fleuve. La force de protestation de ses nombreux salariés était un argument sérieux, surtout à quelques mois d'une élection présidentielle. Les collectivités plaidaient pour un autre partage de cette « rente » et un rapport signé par le préfet honoraire du Haut-Rhin, Hélène Blanc, allait dans leur sens. Les Échos du 19 septembre 1994 nous apprennent à combien était évaluée cette manne :
« Ce document, qui fait suite à un pré-rapport remis en juillet, développe un point de vue proche de celui des collectivités locales actionnaires de la CNR. Celles-ci souhaitent que leur soit attribuée la moitié au moins de la « rente » que procure aujourd'hui à EDF la vente de la production d'électricité des barrages édifiés sur le Rhône par la CNR et désormais amortis. Cette somme de 1,3 milliard de francs par an servirait au financement de la construction du canal à grand gabarit Rhin-Rhône. Le rapport du préfet Hélène Blanc n'apporte guère, en revanche, de propositions concrètes quant aux solutions à mettre en œuvre sur les plans financier et technique pour faire accepter une telle opération à EDF. De même, il ne prévoit aucune modalité pour associer un industriel au futur montage. Ce qui revient notamment à écarter un rapprochement entre la CNR et Pechiney. »
Pour autant, les collectivités ne sont pas satisfaites car elles devaient être également sollicitées financièrement, comme Le Monde du 27 novembre le rappelle :
« À l'origine menée essentiellement par les écologistes, l'opposition gagne du terrain. Pour avoir choisi d'annoncer aux collectivités, par un simple communiqué et sans consultation préalable, qu'elles participeraient au financement des travaux, l'Hôtel Matignon y aura contribué en ajoutant le ressentiment au doute. »
Dans les années 1980, Edgar Faure avait obtenu un consensus de la droite sur le projet Rhin-Rhône, au conseil régional de Franche-Comté. La perspective de devoir payer le prix fort pour le canal remet en cause cette belle harmonie.
« Si le président UDF du conseil régional, M. Pierre Chantelat, observe une prudente réserve, son premier vice-président, le RPR Yves-Marie Lehmann, et d'autres, n'hésitent plus à exprimer leurs hésitations et à s'associer aux écologistes, aux socialistes et aux alternatifs pour réclamer un débat et s'opposer à toute participation financière de la région, laquelle, déjà, a décidé de ne plus cotiser à l'association Mer du Nord-Méditerranée, présidée par Raymond Barre et constituée pour appuyer les projets de la CNR. Illustration, dans le sens inverse, de cette rupture des solidarités politiques, l'adhésion du comité régional du PCF au projet de liaison à grand gabarit donne aux Verts l'occasion d'ironiser sur "la sainte alliance Barre, Balladur, Tapie, PCF contre les intérêts de la Franche-Comté et de la vallée du Doubs" »
Dans le même article, l'auteur Claude Fabert fait état de doutes sur le coût réel de l'ouvrage. Le collectif Saône et Doubs vivants pointe le fait que des ponts lyonnais devraient être reconstruits pour autoriser le passage de convois au gabarit du nouveau canal. La facture totale passerait alors de 17 à 40 milliards de francs. L'utilité d'un grand canal paraît aussi moins évidente à une époque qui n'est plus celle des industries lourdes.
« Peugeot, par exemple, a fait savoir depuis longtemps qu'il n'utiliserait pas la voie d'eau et on ne voit pas bien quelle nouvelle activité économique pourrait se créer dans la région à la faveur de la mise au grand gabarit du canal du Rhône au Rhin. »