1980 - Le Monde - Rhin-Rhône ne sera pas dans le VIIIe Plan
Au début des années 1980, les partisans d'un grand canal entre mer du Nord et Méditerranée perdent patience. Alors que l'on attend la fin de l'aménagement du Bas-Rhône avec l'ouverture de l'écluse de Vaugris, les travaux de passage du seuil entre Saône et Rhin n'ont pas commencé. Plusieurs articles du journal Le Monde rappellent le discours tenu par le président Giscard d'Estaing à Dijon, le 24 novembre 1975 : « Il faut faire au lieu de dire… La mise à grand gabarit du canal de la Saône au Rhin s'impose comme une nécessité tracée par la géographie et par l'économie… Les travaux seront entrepris en commençant par l'Alsace, au cours du VIIe Plan lui-même… Il est clair que le gros de l'ouvrage devra être réalisé pendant le VIIIe Plan. »
En mai 1980, des signes font penser que la liaison Rhin-Rhône ne sera pas achevée pendant le VIIIe Plan. Le Monde du 23 mai fait état d'un projet de rapport sur les voies navigables, qui trace les grandes lignes d'une politique extrêmement contrainte. Les efforts seront concentrés sur les voies les plus utilisées et les projets de constructions nouvelles seront passés au crible. Le pré-rapport souligne l'intérêt d'améliorer les dessertes portuaires à Dunkerque et Sète, les liaisons avec la Belgique, par l'Escaut, la Deûle et la Lys, et la liaison entre Seine et Nord. On y apprend aussi que l'enveloppe prévue pour la voie d'eau dans le VIIIe Plan est de 1,7 milliards de francs, en baisse par rapport aux plans précédents, et très inférieure aux 6,5 milliards de francs (1978) du coût de la liaison Rhin-Rhône.
En novembre de cette année 1980, ces informations sont confirmées. On ne peut que constater « un désastre », selon les promoteurs du canal, lors de la discussion du budget à l'Assemblée. François Grosrichard, journaliste au Monde, note dans le numéro du 27 novembre la décrue progressive des crédits accordés à la voie d'eau :
« Exprimé en francs de 1980, le budget d'équipement des voies navigables fut en moyenne de 600 millions par an au cours du VIe Plan et 400 millions au cours du VIIe (1976- 1980). Plus précisément, l'enveloppe, qui était de 495 millions de francs (valeur 1980) en 1976 et de 525 en 1977, tombait à 365 en 1978 et 415 en 1979, 330 en 1980 et 245 en 1981. »
L'axe mer du Nord-Méditerranée, ce qui était le projet prioritaire n°6 du VII Plan, en fait les frais :
« Initialement, 1,5 milliard de francs étaient prévus sur le budget de l'État, puis, après la révision du Plan à mi-parcours la somme avait été ramenée à 780 millions. Aujourd'hui, l'on remarque que ce programme "prioritaire - rétréci" n'a été réalisé qu'à… 77,4 %. Aussi était-il logique – et plus honnête - de le faire complètement disparaître des priorités du VIIIe Plan… Doté de 140 millions de francs dans le budget de 1980, le projet Mer du Nord-Méditerranée aura tout de même 110 millions en 1981 (et peut-être une rallonge additionnelle de 10 millions). L'essentiel de cette enveloppe servira à continuer les travaux de jonction entre le Rhône et le port de Fos. »
Les qualificatifs employés dans les discours officiels au sujet du canal Rhin-Rhône, remarque le journaliste, s'accordent à l'évolution des crédits, passant, par étape, de « urgent » à « chaque chose vient à son heure ». Dans ce contexte, l'Association mer du Nord-Méditerranée n'espère pas un début du chantier avant 1983.
Négociations serrées
Les six régions françaises concernées par la liaison, de la Méditerranée au Rhin, seront associées à l'effort financier, apprend-t-on dans Le Monde du 20 février 1980. Elles ont versé chacune un million de francs pour entrer au capital de la CNR. maître d'ouvrage du chantier. Mais ce n'est qu'un ticket d'entrée pour un futur round de négociations. À la lecture d'autres articles, on devine que des tractations difficiles ont lieu entre, d'une part, les régions possibles bénéficiaires du canal et, d'autre part, le ministère du budget. On en apprend un peu plus dans cet entretien entre le journaliste Jean Contrucci et le président de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Gaston Defferre, paru le 3 octobre 1980. Le maire de Marseille commence par rappeler sur quoi se fondent les espoirs qu'il place dans la construction du canal.
« Lorsqu'on regarde la situation des grands ports européens, Rotterdam, Hambourg, Brème, Anvers, Londres où, en France, Le Havre, Rouen, tous sont à l'embouchure de grands fleuves. Ces ports présentent des conditions de navigation permettant la remontée des navires de mer et la descente de gros convois fluviaux. Et tous sont au contact d'un arrière-pays industriel. Ces ports sont d'une part tournés vers la mer et d'autre part vers leur hinterland. Ce n'est pas le cas de Marseille, trop longtemps tourné uniquement vers la mer et privé, jusqu'à présent, de la grande voie navigable qui l'aurait mis en contact direct avec l'arrière-pays […]. Le projet Rhin-Rhône devrait permettre à Marseille de capter une partie du trafic de la Suisse et de l'Allemagne méridionale et faire de cette métropole une des issues de l'Europe industrielle. »
Il indique aussi le niveau de participation sur lequel les six établissements publics régionaux (les régions) concernés sont prêts à s'engager.
« Nous avons créé une conférence inter-régionale groupant les six établissements publics régionaux concernés. Elle s'est réunie à plusieurs reprises à Besançon et à Dijon (1975), à Strasbourg (1976) et à Marseille (1979). C'est là qu'elle a décidé que les régions qui voudraient participer à la construction et au financement du canal Rhin-Rhône pourraient le faire. Nous considérons que dans cette affaire l'État et les institutions européennes doivent jouer leur rôle, et que les régions doivent jouer le leur. La participation régionale pourrait se situer à un plafond de 15 % des montants des crédits inscrits chaque année dans le budget de l'État pour les voies navigables. »
L'État avait annoncé 20 %. Mais une divergence sur 5 % n'est pas mince dans une discussion portant sur des milliards.