1979 – Le Monde – La représentation nationale est partagée sur Rhin-Rhône
En décembre 1979, l'Assemblée nationale est saisie de la question du choix de la CNR comme maître d'ouvrage pour le canal Rhin-Rhône. C'est l'occasion d'un débat sur le fond, sur l'opportunité de construire une voie d'eau dont le coût est estimé à l'époque à 8 milliards de francs (3,75 Mds € 2013). Tout est mis sur la table, le financement, la participation des régions, la géopolitique, l'hydrologie, les autres moyens de transport, etc. Au cours des interventions, chacun dévoile ses positions. L'essentiel du débat est rapporté par François Grosrichard dans Le Monde du 12 décembre.
PS, UDF et RPR [les deux partis de la majorité de droite] se retrouvent dans une sorte d'union sacrée. Il y a d'abord le plaidoyer pro domo du socialiste Gaston Defferre :
« [Le projet] est sans doute le seul qui puisse apporter au sud de la France une activité économique qui lui fait actuellement complètement défaut. »
S'y joignent le discours d’Émile Koehl (UDF, Bas-Rhin), rappelant l'approbation de l'Union des chambres de commerce rhénanes, celui de Jean Valleix (RPR, Gironde), soulignant que « l'enrichissement doit aussi profiter à la Lorraine, à l'Ouest ou au Centre », et l'appel d’Emmanuel Hamel (UDF, Rhône) à « une Europe déjà réconciliée jusqu'au rideau de fer... et de l'Atlantique à l'Oural à la fin du siècle ».
Du côté critique, le Parti communiste, représenté par Antoine Porcu (Meurthe-et-Moselle) et Vincent Porelli (Bouches-du-Rhône), dénonce des procédures « heurtant les exigences de la démocratie », l'absence « d'études sérieuses pour donner la priorité sur Rhin-Rhône plutôt qu'à Seine-Nord ou Seine-Est », « le coût considérable et les conséquences humaines et écologiques », une concession faite « aux sidérurgistes de la RFA et aux cartels du Benelux ». Un autre communiste lorrain, César Depietri, voit dans le canal « une très vieille ambition de la grande bourgeoisie allemande, relier par voie fluviale l'Allemagne, en particulier l'industrie lourde de la Ruhr, à la Méditerranée ».
Même si c'est dans un autre registre, l'hostilité au projet est partagée par des hauts fonctionnaires, qui qualifient le projet de « survivance attardée du dix-neuvième siècle », et celle de Raymond Forni (PS, Territoire de Belfort), le rangeant au catalogue des « mythes technologiques ».
Proche du terrain, Pierre Weisenhorn (UDR, Haut-Rhin), déplore « le prélèvement sur les terrains agricoles occasionné par ce projet, de l'ordre de 4 300 hectares et que cinq cents exploitations seront touchées et 20 % d'entre elles gravement déséquilibrées. »
À l'issue du débat, le gouvernement espère faire passer des mesures pour financer le chantier, avec une participation des régions qui atteindrait 20 % des travaux, point qui suscite discussions et amendements, et l'utilisation des recettes provenant de la vente d’hydroélectricité du Rhône, dont la concession est accordée à la CNR. Joël Le Theule, ministre des transports, s'oppose au financement à 100 % du projet par la vente d'électricité à EDF à un prix majoré de 30 c/kWh. Le Monde rapport les propos du ministre :
« La liaison Rhin-Rhône est "une bonne affaire" pour la France, il souligne que celle-ci coûte moins cher que le TGV (train à grande vitesse) et indique que pour en évaluer la rentabilité il faut noter que son amortissement se fera sur une très longue période. M. Le Theule prend l'engagement de veiller à ce que la CNR prenne des dispositions pour que les paysages existants soient respectés ou remis en état ».
Moins spectaculaires que les discours, les amendements sont davantage déterminants pour l'avenir du projet. L'un d'eux, en particulier, proposé par Jean Valleix et soutenu par Gaston Defferre, précise que « la participation des collectivités locales et des Établissements publics régionaux au financement du canal ne saurait revêtir un caractère obligatoire. » De quoi rassurer les élus locaux (le cumul de mandats électifs est la norme à cette époque) qui s'insurgent contre ce qu'ils qualifient de chantage de la part du gouvernement, et résumé ainsi : « Ou vous payez, ou rien ne se fera ! »
L'ensemble du projet est adopté par 387 voix contre 88 sur 479 votants et 475 suffrages exprimés.