1978 – Le Monde – Où est passé le budget ?
Après sa déclaration d'utilité publique, la liaison Rhin-Rhône est un programme prioritaire, figurant au VIIe Plan, et doté de 7,55 milliards de francs. Le temps du grand canal est-il venu ? Dans un article du 2 septembre 1978, intitulé « La construction du canal Rhin-Rhône, les lenteurs de la voie d'eau », Marc Ambroise-Rendu doute que l'on verra les travaux avancer rapidement. Il fait la liste des obstacles, pour la plupart de nature budgétaires :
« L'enveloppe budgétaire qui avait été accordée à l'axe mer du Nord-Méditerranée n'a été utilisée qu'à 25 %. Le maître d'ouvrage du canal (on parle de la Compagnie nationale du Rhône) n'a pas été désigné. Le plan de financement fait problème. Le budget des voies navigables de 1979 sera inférieur à celui des années passées. Or, sans engagement de l'État, les collectivités locales refusent de verser leur écot. En faisant payer plus cher à l'EDF. l'électricité que produisent ses propres barrages, la Compagnie nationale du Rhône apportera-t-elle une partie de l'argent nécessaire ? Cette hypothèse n'est pas exclue. On compte aussi sur le concours de la Communauté européenne. Tout cela devrait faire l'objet d'une décision du Parlement lors de sa session d'automne. Mais la réorganisation du ministère des transports entrave la préparation des textes nécessaires. »
Difficile, selon le journaliste, de croire que l'on pourra engager les travaux avant 1980, un report qui pourrait bien en préfigurer d'autres. En décembre 1975, à Dijon, le président Valéry Giscard d'Estaing avait lancé le projet en grande pompe mais sans que le budget des voies navigables soit abondé en conséquence depuis. Le 12 juin 1978, François Grosrichard évoque un montage financier inachevé et passablement embrouillé.
« Depuis deux ans, les régions, les autorités de Bruxelles et l'État jouent à cache-cache. Les six établissements publics régionaux [Les régions ND Clac] concernés auront à se prononcer en septembre à Marseille au cours de la conférence inter-régionale sur le principe d'un versement représentant de 10 % à 15 % du devis total. Ce versement serait demandé année après année, au vu des mises de fond de l'État. Les régions se " débrouilleraient " ensuite entre elles et, à l'intérieur de chacune, pour faire les pondérations les plus équitables. Un emprunt pourrait être lancé auprès de la Banque européenne d'investissements pour compléter le montage financier. Il a aussi été suggéré que, conformément à la nouvelle politique de vérité des prix, l'EDF. Soit " invitée " à acheter l'électricité produite par la Compagnie nationale du Rhône, non pas au prix dérisoire de 3,2 centimes le kilowatt-heure comme actuellement, mais à un tarif légèrement réajusté. »
On comprend plus loin que cette solution, consistant à faire racheter plus cher de quelques centimes l'électricité produite par les barrages de la Compagnie nationale du Rhône, est politiquement difficile à imposer à EDF, à un moment où l'entreprise investit dans la construction du parc électro-nucléaire. Pourrait-on alors financer la voie d'eau par les péages acquittés par ses usagers ? La réponse des fonctionnaires du budget est Niet ! :
« Un péage normal de un centime par tonne-kilomètre ne peut, au mieux, que couvrir les dépenses de fonctionnement et d'entretien. »
Combien coûterait donc l'ouvrage ? L'article donne des éléments de comparaison avec d'autres travaux en cours.
« Au kilomètre, Rhin-Rhône reviendrait à 28 millions de francs, le TGV à 11,5, le RER entre 50 et 100, le kilomètre d'autoroute à 10 millions. »
Il faudrait, pour financer la liaison, trouver chaque année, pendant la durée des travaux, entre 200 et 560 millions de francs (comparé aux 320 millions du budget total de la voie d'eau en 1979). Qui allait payer ? Dans Le Monde du 2 février 1979, on apprend que les représentants des six régions concernées se réuniraient dans quinze jours pour décider de leur participation et des conditions qu'ils posent.
« Objet de cette rencontre : fixer le taux de participation globale des régions aux dépenses engagées pour le creusement du canal. Mais avec une réserve : les régions ne feraient un pas que si l'État affiche clairement sa volonté d'aller de l'avant et si il autorise la CNR à relever le prix du courant électrique qu'elle vend à EDF Or rien n'indique que le gouvernement soit disposé à prendre cette voie, et les échanges de balles entre les partenaires peuvent durer encore longtemps. »
L'opposition des hauts fonctionnaires
En octobre 1978, une commission interministérielle est chargée d'éclaircir la situation. L'article du 2 février 1979 intitulé « La liaison fluviale Rhin-Rhône serait sept fois moins rentable qu'une autoroute et dix fois moins que le TGV » livre une comparaison de rentabilité entre le canal Rhin-Rhône, les nouvelles autoroutes et la ligne TGV Paris-Lyon. Le canal donnerait 4 % dans le cas le plus optimiste, 2 % dans le pire, en tenant compte des intérêts intercalaires et des pertes de trafic de la SNCF. Les autoroutes rendraient entre 15 % et 25 % et le TGV était attendu à 33 %.
De toute évidence, l'administration de la rue de Rivoli (le ministère des finances) n'est pas chaude. Le journaliste, François Grosrichard, mentionne aussi l'opposition de la DATAR, de la SNCF, des syndicats CGT et CFDT, des chambres d'agriculture. Quand au Premier ministre, Raymond Barre, il ne peut que constater :
« La question ne se pose pas de savoir s'il faut faire Rhin-Rhône ou le stopper puisque nous n'avons pas d'argent pour le faire … »
Une remarque du journaliste résume bien l'affaire, « la crise économique a bouleversé les raisonnements. ».