1962 - Le Monde - Rhin-Rhône dans le IVe Plan
Dans les années 1960, l’État donne l’impulsion dans le domaine de l’économie, à travers les prévisions du Plan quinquennal. La période est faste, la croissance est rapide. Mais les ressources ne sont pas illimitées et il faut établir des priorités et nécessairement faire des malheureux.
Dans un article du 30 mai 1962, André Ballet évoque la réponse du commissaire général au Plan, Pierre Massé, faite au député de Seine-et-Marne et futur ministre des Travaux publics et des Transports, Marc Jacquet :
Répondant à la critique de "manque de hardiesse" formulée dans son rapport général par M. Marc Jacquet au sujet des investissements pour les grandes infrastructures de transport, M. Massé invoque l'ordre des urgences. « Si, déclare-t-il, les dépenses d'équipement nécessaires n'étaient pas consenties à temps pour accueillir les jeunes gens qui se pressent aux portes de nos écoles, de nos lycées, de nos facultés, la France gâcherait l'une de ses meilleures chances. Le retard apporté à certaines grandes infrastructures de transport est regrettable, mais n'a pas la même gravité humaine. En tout cas il fallait choisir ».
Dans le même article, un autre député, Louis Briot, élu (UNR) de l’Aube, regrette cet arbitrage et déplore que le Plan contienne « très peu de choses sur les transports fluviaux ».
Rhin-Rhône n’est pas un investissement rentable
Cette décision n’est pas née de la veille. Elle vient après des analyses sur la rentabilité des grands investissements sur la voie d’eau et singulièrement de la mise à grand gabarit sur toute sa longueur de l’axe Rhin-Rhône.
Dans le Monde du 20 juillet 1960, Robert Buron, Ministre des travaux publics, préside à Nancy une séance d'étude sur le projet de relier la mer du Nord et la Méditerranée par voie d'eau. Tout en constatant que les partenaires européens misent sur la voie d'eau, il souligne les difficultés particulières de la France à les imiter.
« Ce développement pose à la France, pour des questions de densité démographique et économique et aussi de relief du sol, un problème beaucoup plus coûteux et plus ardu qu'à ses partenaires du Marché commun. »
Le 8 janvier 1962 (Le Monde du 10/01/1962), le ministre Buron donne un avant-goût du Plan à la Fédération des Travaux Publics réunie au Palais de Chaillot. L’effort portera sur les grands axes routiers d’intérêt touristique. Sur l’axe Rhin-Rhône, il déclare : « Ici s’opposent les hommes qui ont la foi et ceux qui ne l’ont pas », sans vouloir préciser si lui-même avait la foi, croit devoir rajouter le journaliste.
Le ministre souligne les limites des investissements de transport dans l’aménagement du territoire : « Craignons lorsqu'il s'agit de grands travaux d'infrastructure de faire un marché de dupes en mettant l'accent sur leur valeur stimulante sans insister suffisamment sur leur rentabilité. »
C'est selon les instructions de Robert Buron que la commission Boulloche alors en travaux a dû prendre en compte la rentabilité des investissements. Cette commission devait se prononcer pour une des solutions proposées pour Rhin-Rhône, à même de ménager les susceptibilités régionales. Une tâche difficile devant la déterminsation des élus locaux à obtenir « leur » branche, comme le mentionne le rapport Boulloche.
Dans ses conclusions, ce même rapport Boulloche devait affirmer : « Le Groupe de Travail estime que, dans l'état actuel des choses et compte tenu du taux d'actualisation sur lequel sont basés les travaux du Plan, ses études n'ont pas permis de dégager des éléments déterminants en faveur de la solution voie d'eau, même en limitant celle-ci à la branche alsacienne, apparemment la mieux placée, et ne permettent donc pas de proposer l'inscription de l'opération au 4ème Plan. »
Dans le même temps, il préconisait de finir les aménagements pour la navigation fluviale du Rhône pour éviter au port de Marseille de péricliter à la suite de la perte du commerce colonial et de moderniser les lignes ferroviaires afin d’assurer un voyage peu cher vers le sud aux produits pondéreux des industries lorraines.