1944-1954 - Le Monde - Reconstruction et modernisation du transport fluvial
Au lendemain de la capitulation allemande, le pays travaille à relever ses ruines et reconstruire ses usines. L’appareil de production ainsi que le chauffage des habitations dépendent du charbon. Le transport fluvial, favorisé pour l’acheminement des pondéreux, est un élément vital pour l’effort de reconstruction. Dix-neuf millions de tonnes en 1921, 45 millions en 1938 (presque 60 Mt en 2005 pour une économie beaucoup plus grande), pour treize mille bateaux, la batellerie française joue un rôle de poids.
Certains constataient cependant la vétusté de l’équipement fluvial français, hérité de la situation d’avant-guerre, comme Edmond Delage dans Le Monde du 28 août 1945, où il alignait les chiffres. Sur 9624 km de voies navigables en 1938, seuls 5820 km (sans compter la Seine en aval de Paris et le Rhône) étaient accessibles aux péniches Freycinet, qualifiées de «gabarit moyen», lesquelles représentaient seulement 25,6% de la flotte en 1935. À cela, s’ajoutèrent les destructions de la guerre, entre 72% et 77% des ouvrages fluviaux rendus inutilisables sur la Seine, l’Oise, la Moselle, la Saône et le Rhône et presque la moitié de la flotte perdue en 1944. Le tableau est sombre mais comporte une note d’espoir.
«La situation était d'autant plus grave que les matériaux de reconstruction faisaient presque complètement défaut. Les services de la navigation, la S. N. C. P avec le précieux concours du génie américain, se mirent immédiatement au travail, surtout pour rétablir au plus vite les transports sur la route du charbon, entre Paris et le Nord. Des efforts énormes durent être déployés, car sur l'Oise, à Laversine par exemple, des blocs de béton de plus de 200 tonnes bouchaient le chenal. Sur la Seine, entre Argenteuil et les abords de Rouen, 27 ponts étaient totalement détruits ou endommagés. La navigation fut cependant rétablie entre Paris et Rouen à la fin d'octobre 1944.»
L’auteur estime qu’un manque chronique d’investissements est à l’origine d’un retard du transport fluvial par rapport à des voisins du nord.
«Durant les dix dernières années, les travaux d'entretien, qui coûtaient 12 millions de francs-or en 1913, tombaient à 45 millions de francs papier, tandis qu'un pays comme la Belgique consacrait en 1932 près d'un douzième de son budget à l'équipement de ton réseau fluvial.»
Difficile pour nos contemporains habitués à l’euro électronique d’apprécier la valeur du franc-or, une vingtaine d’euro au cours actuel du métal jaune, ce qui est trompeur car il équivalait à beaucoup plus d’heures de travail que ne rétribuent aujourd’hui un billet bleu. Mais on sent le peu de considération dans lequel l’auteur tenait la monnaie papier de son époque, soumise à l’inflation, et la volonté de tenir le plat pays comme étalon pour le transport fluvial en France avec la perspective de relier les voies françaises au reste de l’Europe. Déjà !
«Un grand plan s'impose pour la modernisation du réseau fluvial français, aux débouchés du réseau central européen, en liaison avec l'Atlantique et la Méditerranée. Ses principaux canaux datent de 1879 ; sauf sur la basse Seine. Ils ne peuvent admettre que des péniches de 300 tonnes, alors que les grands canaux européens reçoivent des péniches de 1.000 tonnes.»
En 1954, un autre article du journal titre sur l’achèvement de l’effort de reconstruction de la batellerie, constat dressé au salon nautique de Paris, où l’on s’extasie devant les nouveautés de taille.
«Et les visiteurs pourront voir à quai un automoteur de Seine de 1 000 tonnes de port en lourd destiné au transport des carburants liquides. Ce bateau de 76 m 50 de long, 10 m 60 de large et 3 mètres de creux, où tout est prévu pour le confort de l'équipage, représente les dix mille cinq cents chalands et péniches dont la capacité totale de 3 700 000 tonnes égale presque celle de la marine marchande et qui occupent trente mille personnes.»
Le souci de moderniser reste toujours d’actualité une décennie après la fin du conflit. Le 22 novembre de cette même année, une brève du journal se fait l’écho d’une demande des chambres de commerce et d’industrie de la Moselle et de Strasbourg en faveur de la canalisation de la Moselle qui selon les CCI «conditionne l'avenir de l'industrie lourde de l'est de la France au sein de la C.E.C.A», la récente communauté européenne du charbon et de l’acier. Les CCI demandent aussi l’enfoncement de plusieurs voies d’eau du nord-est (canal de la Marne au Rhin, canal du Rhône au Rhin, canal des Houillères de la Sarre, canal de l’Est, la Moselle canalisée de Nancy à Thionville), qualifié de «modernisation».
Ces demandes de l’industrie sidérurgique, des charbonnages et du port de Strasbourg, formulées dans ces termes, ne sont pas nouvelles. L’année précédente, ainsi que le relate Le Monde du 14 octobre 1953, s’étaient tenus, à Strasbourg, sous la présidence du conseiller économique Albert Auberger, l’assemblée générale de la Société pour l’expansion du port de Strasbourg et de son hinterland (E.X.P.A.), ainsi que le premier conseil d’administration du Consortium pour l’amélioration des voies navigables de la région est-sud-est. Cette association rassemble dans un but commun les CCI, les collectivités locales et les grands usagers de la voie d’eau.
Ils s’accordent sur «[le] danger d'une mise à l'écart des grands courants d'échange de produits charbonniers et sidérurgiques» et l’importance de voie navigables modernes pour «tenir son rang» dans l’Europe du charbon et de l’acier.
Leurs demandes furent résumées par le directeur du port de Strasbourg, M. Graff.
«Disposer vers l'arrière-pays de voies navigables commodes et économiques. Or, […] ces voies ne sont plus du tout adaptées aux besoins actuels, qu'il s'agisse du canal de la Marne au Rhin, du canal des houillères de la Sarre ou du canal du Rhône au Rhin. De toute urgence ces voies doivent être approfondies et élargies.»
Ce programme était promis à une longue actualité.