1950-1955 - Le Monde - Le canal transhelvétique, au rayon des grands projets oubliés

Au début des années 1950, la France s’industrialise rapidement et l’Europe est un horizon. Les grands projets d’infrastructures, éventuellement transfrontalières, fleurissent mais tous n’ont pas vu le jour. Qui se souvient du canal du Rhône au Rhin par la Suisse ? Ce projet était soutenu par l’Union générale des Rhodaniens et Marcel Guinand qui en présidait le comité central France-Suisse en expliquait l’intérêt dans Le Monde du 14 mai 1948.

«Le Rhône a une position de premier plan dans le problème de la navigation fluviale européenne. En effet c'est la seule voie qui permette de relier facilement la Méditerranée avec les mers du Nord. En joignant le Rhône au Rhin, puis au Danube, le système de pénétration par canal de l'Europe sera établi.»

Méditerranée, Mer du Nord, le lien est déjà tracé. On passera par Marseille pour aller des Amériques aux Flandres.

«L'Orient par le canal de Suez, l'Afrique, l'Amérique par Gibraltar, pourront faire venir à Marseille les marchandises qui, remontant le cours du fleuve, se répartiront entre les pays du Nord et de l'Est.»

Comment donner un semblant de crédibilité à cette belle vision sans mépriser trop ouvertement les données de la géographie physique ? La stratégie du salami appliquée à vérité a pu un moment rendre vraisemblable la traversée en péniche d’un pays alpin.

« La traversée de Lyon a été prévue et étudiée à fond par cette ville. Réalisée, elle permettra de pénétrer du pont Édouard-Herriot, par le canal de Jonage, dans le Haut Rhône. C’est là que les difficultés commencent. Elles ont été déjà résolues par l’usine de Génissiat, qui a fermé en son amont un lac s’étendant jusqu’à la frontière suisse. L’usine de Seyssel la complète en assurant, de cette ville à Génissiat, un plan d’eau suffisant.


« Le Rhône, en Suisse, est barré par l’usine de Pougny puis par celle de Verbois. Ces deux usines ont créé des lacs qui, par écluse, résolvent le problème de la navigation jusqu’à Genève. Cette ville étudie la traversée jusqu’au lac Léman. « Les chalands pénétrant dans cette vaste nappe d’eau pourront atteindre les villes françaises d’Évian, de Thonon et Lausanne, d’où partira le canal d’Entre-Roches faisant communiquer le Léman avec le lac de Neuchâtel. La voie fluviale se continue par l’Aar, déjà navigable en la plus grande partie de son parcours, et aboutit normalement au Rhin. La Suisse vient de consacrer un million de francs pour l’établissement des plans de celte vaste entreprise. Plus tard la jonction se fera entre le Rhin et le Danube par un court canal allant du lac de Constance au grand fleuve.»

On croirait à une promenade de santé. Avec l’avantage que nous donne le temps, il est plus facile de voir où le projet achoppe. Aujourd’hui, on considère le haut-Rhône comme un torrent de montagne, plus apte à la production d’énergie hydro-électrique qu’au transport lourd de marchandises. Il est navigable entre Seyssel et Sault Brenaz mais la traversée fluviale de Lyon se fait exclusivement vers la Saône. Le canal transhelvétique faisait pourtant l’objet d’études par des ingénieurs suisses depuis 1910. Un ouvrage réalisable il y a cent ans ne le serait plus de nos jours ? Il est assez clair qu’ils raisonnaient à partir du gabarit moyen de l’époque, 38,5 mètres de long 5,4 mètres de large, considéré aujourd’hui comme insuffisamment compétitif. Et le grand gabarit actuel - 185 mètres sur 11,4 - est peu compatible avec un fleuve près de sa source.

En 1954, Le Monde dans son édition du 13 juillet, mentionnait dans une brève l’exposé de M. Balmer, de l’Association suisse pour la navigation du Rhône au Rhin, lors de la réunion des CCI rhodaniennes tenue à Marseille. Le 3 décembre de cette année, M Blattner, de la même association, évaluait le coût de construction à 200 millions de francs suisses.