1998 – Le Monde – Changement de cap en Franche-Comté

Après le changement de majorité de 1997, la politique de l'aménagement du territoire change d'orientation. L'arrêt de grands projets emblématiques, comme Rhin-Rhône ou le surgénérateur Superphénix, n'est qu'un des aspects de la réaffectation des crédits décidée par le gouvernement Jospin. Plusieurs fois, le ministre des Transports, Jean-Claude Gayssot, déclare vouloir obtenir une « meilleure complémentarité des transports ». Dès la préparation du budget 1998, on constate que les transports en commun et le rail seront les outils de cette nouvelle orientation. Dans Le Monde du 16 février 1998, un article titré « L’État veut donner la priorité au transport ferroviaire », en donne les grandes lignes, avec le compte-rendu d'une réunion interministérielle sur les investissements d'infrastructures ferroviaires, qui se tenait le 4 février.

La mesure la plus visible est le choix de l'État de porter sa participation dans le TGV Est à 8 milliards de francs. La rentabilité de cette ligne n'est pas assurée, cependant :

« Le coût de ce tronçon est évalué à 18,7 milliards de francs, dont 16 milliards de subventions publiques. En mettant la moitié de cette somme dans la corbeille, l’État fait un geste décisif pour un projet dont la portée stratégique et symbolique (affirmer le rôle de métropole de Strasbourg, renforcer son image au cœur de l'Europe, "rapprocher" l'Alsace de la capitale) est indéniable. Sa rentabilité, en revanche, est plus qu'incertaine. Le rapport Blanc-Brossier, rendu public à l'automne 1996 (Le Monde du 10 octobre 1996), recommandait de différer sa réalisation "d'au moins une dizaine d'années" en indiquant que "la réalisation du TGV Est ne peut, dans les conditions (…) prévisibles de trafic, être soutenue sous l'angle économique", son taux de rentabilité pour la collectivité étant "inférieur au niveau minimal exigé par le Commissariat du Plan". »

Les prévisions du Plan se sont avérées justes. En août 2013, paraît un bilan socio-économique sur la LGV Est, signé Yves Morin et Hervé de Tréglode, du CGEDD. Elle conclue en ces termes :

« Les trafics sont au rendez-vous, au-delà des prévisions. La poursuite de cette liaison à forte composante internationale, par la réalisation de la seconde phase, renforcera l'intérêt de ce projet pour les usagers. En revanche, la rentabilité socio-économique est inférieure au seuil fixé par l'instruction-cadre (3,7 % au lieu de 8 %). La rentabilité du projet, pour les acteurs ferroviaires RFF et SNCF, a pu être maintenue grâce aux subventions apportées par l’État, les collectivités territoriales et l'Union européenne. La comparaison avec les lignes LGV antérieures confirme une évolution négative continue de la rentabilité depuis la ligne Paris Sud-Est »

Mais revenons en 1998. Le TGV Rhin-Rhône est une autre possibilité de ligne à grande vitesse. Le projet est moins avancé que le TGV Est, notamment du fait de « divergences de vue entre certains élus régionaux de poids », sauf sur le tronçon Mulhouse-Besançon, qui suscite « un consensus ». Les études préparatoires et l'enquête d'utilité publique seront lancées « courant 1998 », en même temps que « les possibilités de développer le fret » seront explorées.

« Une sorte de "plan rail" commence à s'esquisser à travers cette réunion interministérielle : il s'agissait de "valider l'effort que l’État souhaite et peut consentir pour le développement des infrastructures ferroviaires" tout en rompant avec une logique qui tend à "privilégier systématiquement la réalisation d'infrastructures nouvelles en lieu et place d'une optimisation des infrastructures existantes". L’État entend donc mieux prendre en compte les atouts du rail "en matière énergétique, d'environnement et dans le développement de la capacité des transports". »

À la fin de l'année 1998, le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) prend des mesures concernant les transports. Le Monde du 16 décembre en fait le résumé. En Auvergne et Limousin, on étudie « la modernisation des liaisons ferroviaires Paris-Limoges, Clermont-Ferrand-Lyon, Brive-Toulouse ». En Midi-Pyrénées, une étude est prévue pour la « réalisation d'une gare multimodale à Tarbes ». En Haute-Normandie, le projet « Port 2000 » pour le Havre est lancé. On prévoit qu'il coûtera 3 milliards de francs. En Provence-Alpes-Côte-d'Azur, le gouvernement approuve « le plan d'entreprise du port autonome et la charte portuaire » pour Marseille-Fos. Pour la Franche-Comté, plusieurs réalisations sont prévues :

« Création d'un dispositif d'aide à la reconversion industrielle avec une action particulière pour Belfort ; inscription de l'aire urbaine de Belfort-Montbéliard parmi les zones prioritaires de l'aménagement du territoire, ouverture d'une école de police de 300 places à Montbéliard. Par ailleurs, Dominique Voynet est chargée par le premier ministre de préparer un projet de développement durable pour les territoires situés entre Saône et Rhin, afin de pallier l'abandon du canal à grand gabarit Rhin-Rhône. 200 millions de francs de crédits du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) sont alloués à la restauration du canal Freycinet qui obtient également 15 millions par an sur 7 ans d'un autre fonds. Enfin l'élargissement de l'A 36 à deux fois trois voies sur le tronçon Belfort-Montbéliard est mis à l'étude. Lancement des études sur le TGV Rhin-Rhône. Objectif : obtenir une déclaration d'utilité publique en 2001 pour le tronçon Mulhouse-Dijon. »

L'hypothèque du canal levée, beaucoup de choses semblent possibles en Franche-Comté. Pendant trente ans, la région a vécu dans la perspective de ce chantier, ce qui a gelé nombre de projets d'urbanisme et d'aménagement. « On attendait le canal comme on attend Godot chez Beckett où les Tartares chez Buzzati », résume Robert Belleret dans Le Monde du 18 février 1998. Dominique Voynet voudrait faire avancer la situation, mais en douceur, sans effets d'annonce. Elle l'explique ainsi dans l'article :

« D'abord, parce que je ne veux pas faire de clientélisme en ayant l'air de favoriser la Franche- Comté, mais, surtout, parce que je ne veux pas valider l'idée que la région serait sinistrée par l'abandon du canal et aurait besoin d'un plan de sauvetage alors qu'elle jouit d'une grande vitalité. »

Il y aura donc un projet d'aménagement de la vallée du Doubs, visant à faire de la Franche-Comté un laboratoire du développement durable, après une concertation avec les citoyens. Le but proclamé est « un développement durable respectueux de l'environnement et accordant une attention particulière aux problématiques du patrimoine naturel et paysager, de la gestion de l'eau, de l'amélioration du cadre de vie urbain, des transports et du développement économique ». On parle aussi de moderniser le canal Freycinet, de l'électrification de la ligne Paris-Bâle ou du cadencement des TER comme alternative au tout-TGV…