1996 – Le Monde – Clivage des élus locaux

1995 a marqué une relance du projet Rhin-Rhône, avec la loi Pasqua qui fait d'EDF le principal bailleur de fonds de ce grand chantier. Dans Le Monde du 1er mars 1996, on relève qu'il s'ouvrira à la fin de 1998 et se finira en 2010, selon Jean-Claude Burkel, président de la Sorelif. Si certains se réjouissent de cette perspective, comme Marc Schreiber, de l'association Mer du Nord-Méditerranée, d'autres ne sont pas convaincus, y compris parmi les élus locaux. Le Monde du 7 mars 1996 relève que :

« Outre le peu d'empressement de la "technostructure" d'EDF, de l'administration des finances, et l'hostilité de la SNCF le projet aura aussi à affronter des élus locaux hésitants. De Marseille, dont les responsables soutiennent a priori cet éventuel débouché pour leur port, à Mulhouse, dont le maire, Jean-Marie Bockel (PS), envisage de repenser l'aménagement de sa ville en fonction du canal, les visions divergent. Les doutes gagnent surtout les plus concernés, à en croire le ton de la séance d'information au conseil régional de Franche-Comté, le 22 février. Le président de l'assemblée, Pierre Chantelat (UDF-PR), ne voulait pas organiser de débat officiel, mais les conseillers régionaux se sont tout de même prononcés sur quelques points. A la question : "Le canal à grand gabarit, dans la logique de l'aménagement du territoire de l'axe Nord-Sud, est-il l'investissement le mieux adapté ?", dix-huit conseillers ont répondu "non", treize ont acquiescé. »

Ce clivage se retrouve dans les attitudes opposées du maire de Mulhouse et de celui de Besançon, que résume Martine Valo dans Le Monde du 9 juillet 1996.

« Le maire de Mulhouse, Jean-Marie Bockel (PS), serait prêt à redessiner sa cité de part et d'autre du nouveau fleuve artificiel. S'il se réalise, le canal Rhin-Rhône devrait passer au pied de la gare, en plein centre-ville. Autre maire socialiste celui de Besançon, autre credo : Robert Schwindt ne veut pas d'un tunnel fluvial d'un kilomètre sous sa citadelle. Devant près de dix mille personnes venues scander, dimanche 9 juin, en Franche-Comté, leur opposition au Rhin-Rhône au nom de leur amour de l'environnement ou de la pêche, M. Schwindt s'inquiète : "L'opinion publique risque de se désintéresser d'une menace dont on parle depuis si longtemps qu'elle n'y croit plus !" »

D'une région à l'autre, les priorités en matière d'équipement peuvent varier.

« Le centriste Jacques Rocca-Serra, chargé de la liaison Rhin-Rhône à la mairie de Marseille et qui en attend des retombées pour le développement de son port, mène les partisans du canal au Sénat, tout comme René Beaumont (UDF-PR), président du conseil général de Saône-et-Loire, à l'Assemblée nationale. Outre quelques relais dans les milieux économiques des régions traversées, M. Barre dispose de l'appui d'au moins un ministre, le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, et de celui du président de la République, "intuitivement favorable" au projet. Quant aux élus locaux, pris entre deux feux, ils sont de plus en plus divisés et, dans l'ensemble, bien plus séduits par le projet de TGV Rhin-Rhône. Au moment de son élection, le nouveau président de l'Alsace, Adrien Zeller (UDF-FD), avait promis aux écologistes un débat sur ce thème au conseil régional. Promesse tenue le 4 juillet, le conseil finissant par "prendre acte" de la décision du Parlement de réaliser cette liaison fluviale. »

La question écologique posée par le gigantisme du chantier semble avoir gagné les esprits. Les atteintes au patrimoine des villes traversées, la consommation d'eau du grand gabarit sont mieux évaluées qu'à l'époque de la signature de la DUP. Selon la journaliste :

« Même les dirigeants de la Compagnie nationale du Rhône ont compris que la vraie bataille se livrerait sur le terrain de l'environnement, la polémique économique sur une infrastructure aussi ambitieuse passant au second plan. Les partisans du canal insistent désormais sur l'alternative aux camions pollueurs que représente le transport fluvial. Sans convaincre les défenseurs de la nature, qui ne jurent que par le rail. »

Signe de cette préoccupation, ou affichage destiné à désarmer les critiques, la CNR a aménagé le tronçon Niffer-Mulhouse de 15 km comme une vitrine écologique.

« Pour la Sorelif, il est impératif de faire oublier la façon dont sa maison-mère, la CNR, a bétonné la vallée du Rhône. De réels efforts ont été consentis : ici, un stade d'eaux vives pour les amateurs de kayak en centre-ville ; là, une nouvelle piste cyclable, ici une passerelle pour les piétons, un pont élargi. Ce genre d'équipements n'est toutefois pas inclus dans le budget prévu pour la suite des opérations. Selon le directeur de l'agence de Mulhouse, M. Pelèse, le volet écologique représente environ 12 % du coût de la réalisation en Alsace. »