Le Débat public en débat au CESE
Jeudi 29 novembre 2012, un séminaire organisé par FNE (France Nature Environnement) au Conseil économique, social et environnemental (CESE) portait sur le Débat public sur les grands travaux.
Le Débat public est une nouvelle procédure qui institue la participation du public à la prise de décision et à l’élaboration des grands travaux d’aménagement et projets d’équipement. Si cette pratique est encore peu connue des citoyens, l’actualité pourraient bien se charger de leur donner le goût de la délibération. Était-ce une coïncidence ? Ce même jour, était lancé le débat sur l’orientation énergétique de la France, en pleine polémique sur les gaz de schistes et après une semaine d’affrontements sur l’aéroport de Notre-Dame des Landes. Peu de jours après, le 3 décembre, le projet de tunnel ferroviaire Lyon-Turin recevait le soutient de François Hollande et Mario Monti lors du sommet France-Italie, alors que la commission d’enquête publique est soupçonnée de conflits d’intérêt et que le prix estimé de l’ouvrage est passé de 12 Mds € à plus de 26 Mds (Le Monde du 1er décembre 2012). Toujours ce 3 décembre, EDF annonçait une révision du coût à 8,5 Mds € pour l’EPR, le réacteur nucléaire européen de 3e génération, en construction à Flamanville (Manche). Pour mémoire, le coût annoncé en 2005, au lancement du projet, était de 3,3 Mds (Liberation.fr du 4 décembre 2012). La matière à débat ne manque donc pas.
Le séminaire, animé par le sociologue Étienne Ballan, comptait parmi les intervenants, Patrick Legrand, vice-président le la Commission nationale du débat public (CNDP), Michel Dubromel et Daniel Delestre (France Nature Environnement), Jean-Marc Dziedziki (responsable débat public à RFF), Claude Nahon (directrice développement durable, EDF), Marc Papinutti (DG de VNF), Pierre Serne (Conseil régional IDF). Dans la salle, un aréopage de responsables d’associations de protection de la nature, d’usagers de transports, d’entreprises de travaux publics et de gestionnaires de réseaux ferrés ou fluviaux. Sans oublier le seul élu du plateau, Jean-Yves Pottier, maire de Ancinnes (72).
Le débat public sur les grands projets, un progrès démocratique.
Pour la CNDP, chargée d’organiser les débats sur les projets d’équipements, Patrick Legrand a rappelé que c’est au public de se saisir des questions, d’y impliquer des scientifiques et que c’est l’occasion de fonder une nouvelle représentativité. “Le débat public doit être mené pour et avec le public, en amont des projets et y compris sur la question de leur opportunité”. Il n’y a pas de question interdite et le débat doit pouvoir déboucher sur l’abandon d’un projet jugé inopportun ou inadapté. Il a aussi rappelé le rôle d’arbitre de l’institution qu’il préside. “La loi impose à la CNDP de ne rien dire, de ne pas prendre parti sur le fond”, ce qui n’est pas toujours facile pour un ancien militant environnementaliste, a-t-il avoué.
L’idée d’une nouvelle représentativité n’est pas nécessairement bien perçue par des élus qui pourraient y voir une contestation de leur statut de représentants du peuple. Le maire d’Ancinnes s’est même dit “peiné” par certaines remarques de la salle à propos de l’usage électoraliste qu’ont certains élus locaux de ces grands projets. Du côté des intervenants, on a souligné la difficulté de l’exercice pour des responsables tiraillés entre des devoirs contradictoires. Pierre Serne, vice président transport et mobilités au conseil régional Île-de-France, en a résumé ainsi les ambiguïtés : “Il existe une contradiction entre le temps nécessaire à la concertation et l’urgence d’un projet demandé par tous. Il faut en même temps dépasser les arguments nimbistes (NIMBY, Not in my backyard : Pas dans mon jardin. NDLR) ou les avis particuliers et rechercher l’intérêt général. C’est d’autant plus délicat que certains arguments sont inavouables et se révèlent seulement dans la discrétion du off, comme le refus de voir passer chez soi une ligne de tramway empruntée par des pauvres”. L’intérêt général, c’est bien mais comment le reconnaître ? Il doit être construit collectivement, suggère Daniel Delestre, de FNE : “On peut tenter d’objectiver le débat en y apportant des arguments”.
Un des travers courant des débats organisés jusqu’ici est de se retrouver, au fil des séances, entre promoteurs, associations de riverains et experts autoproclamés. Comment sortir des intérêts catégoriels, alors que pour argumenter il faut avoir acquis une connaissance du sujet ? La CNDP a ici la responsabilité de poser les conditions permettant au public et aux élus eux-mêmes d'acquérir les moyens de monter en compétence et de permettre à quiconque de se cultiver et d’apporter un regard étranger et neuf sur la situation. Et c’est bien la difficulté pour les maîtres d’ouvrage, accepter une autre vision que la leur. Pour Claude Nahon, la directrice du développement durable à EDF, “Bien sûr, il y a des ingénieurs persuadés que la belle solution technique doit s’imposer naturellement, en oubliant qu’elle s’inscrit dans un environnement social, économique, politique, qui oblige à se confronter à la complexité. Le responsable du débat public à EDF l’a résumé ainsi: il faut mettre du social dans la soudure”.
EDF, RFF, VNF réalisent des équipements gigantesques. Leurs représentants à ce séminaire semblaient persuadés de la nécessité de consulter le public mais certains laissaient entendre que leur sensibilité n’est pas partagée par tout le monde au sein de leur institution ou en dehors. “La participation du public au débat sur les projets ferroviaires est encore périphérique. RFF souhaiterait mieux mais les élus qui financent les projets peuvent imposer leurs vues”, note Jean-Marc Dziedziki. L’arrogance prêtée aux ingénieurs serait-elle en fait celle d’élus saisis d’hubris et désireux de marquer leur mandature par une grande réalisation ? Quoi qu’il en soit, Marc Papinutti laisse entendre que les crédits alloués à l’entretien des réseaux, bien que très inférieurs à ceux des nouvelles constructions, sont insuffisants. Il est notoirement difficile de se faire réélire sur l’entretien des canaux. Et c’est dommage, sans doute.
Le prix du débat: le prix de la démocratie ?
Et à propos, combien coûte le débat lui-même et qui le paye ? Pour RFF, sur treize débats organisés, le prix était compris entre 0,7 M et 2,2 M €, hors études. D’autres ont confirmé une moyenne de l’ordre du million d’euros. Le payeur est le maître d’ouvrage. C’est une bonne dépense car elle peut éviter des erreurs et des recours en nombre, beaucoup plus coûteux. Et si un débat de qualité peut réfréner les ardeurs bâtisseuses de certains politiques, l’économie est encore plus grande.