1981 – Le Monde – Le rapport Grégoire et l'avenir de la voie d'eau

1981. La majorité politique change en France mais la doctrine vis-à-vis de la liaison Rhin-Rhône reste sur des constantes. Au cours de la préparation du VIIIe Plan, pour la période 1981-1985, la Commission des Transports avait tenu à distinguer l'aménagement des vallées et le franchissement du seuil. Le premier ouvrait une voie à grand gabarit entre Marseille-Fos et Chalon-sur-Saône. Il était en cours d'achèvement et ne faisait l'objet d'aucune réserve. Il en allait différemment avec le second, un ouvrage de 24 écluses estimé à 9 milliards de francs (1980), dont la Commission jugeait l'utilité hautement spéculative.

« [Le projet] doit être considérée comme une option politique à long terme. [La Commission] évoque les incertitudes qui entachent la rentabilité directe de cette opération et la création d’activités induites. Elle note que l’aménagement de la vallée de la Saône jusqu’à St-Symphorien, tel qu’il devrait être réalisé au cours du VIIe Plan, porte déjà en germe l’essentiel des avantages attendus de cette opération dans les régions concernées, régions du reste déjà favorisées sur le plan ferroviaire et bientôt autoroutier. Elle s’est enfin interrogée sur le sens de l’attraction qu’induirait le franchissement du seuil pour le trafic, peut-être au profit de Rotterdam plus que de Marseille ».

L'application du VIIIe Plan a été bouleversée par l'élection de François Mitterrand en mai 1981. Mais la doctrine fluviale ne semble pas affectée. Lorsque Charles Fiterman, ministre des Transports, répond le 9 octobre 1982 à une question d'un député de l'opposition (Le Monde du 17 octobre 1982), il affirme une position de principe en faveur du fluvial et de la profession batelière mais rien de concret sur une liaison entre Saône et Rhin.

« Quant à la liaison Rhin-Rhône, il n'est pas question de revenir sur son intérêt, mais il faut déterminer son rang de priorité dans le cadre du futur schéma directeur des voies navigables, ainsi que les moyens de son financement, et donc l'échéancier de sa réalisation. Cet examen sera fait en pleine concertation avec les régions et les collectivités locales. Pour ne pas anticiper sur les décisions qui seront prises et compte tenu des priorités qui se font jour à court terme sur le réseau, le gouvernement, dans son projet de budget 1982, n'a pas prévu de crédits d'investissement sur la liaison Rhin-Rhône. Les crédits nécessaires aux acquisitions foncières seront par contre mis en place, de façon à ne pas porter préjudice aux agriculteurs concernés. »

Le ministre attend les préconisations de la commission Grégoire, dont on apprend dans Le Monde du 15 septembre 1982 qu'elle rendra ses travaux au printemps suivant. On y lit aussi que le président de la CNR, Bastien Leccia, est un chaud partisan du projet et que le canal à grand gabarit évitera Mâcon, épargnant ainsi le pont historique Saint-Laurent. Mais les crédits manquent pour commencer une liaison estimée à 11 milliards de francs.

Le rapport Grégoire devait se livrer à un exercice de prospective sur la voie d'eau, à partir de différentes hypothèses sur le montant des crédits. Le numéro du Monde du 17 mars 1983 en donne quelques détails. Les deux hypothèses basses, avec 2,5 et 3,75 milliards de francs sur cinq ans, devaient permettre d'entretenir les infrastructures existantes, d'achever les travaux entrepris et peut-être de réaliser Compiègne-Soissons à grand gabarit. Avec 4,5 milliards, l'hypothèse n°3 permettrait d'ajouter une liaison à grand gabarit parmi Rhin-Rhône, Seine-Nord et Seine-Est. Sa construction s'étendrait sur vingt ans. Avec 6 et 7,5 milliards, les deux derniers programmes verraient, en trente ans, la mise en communication à grand gabarit des trois bassins, Rhône, Seine et Rhin.

En fait, la commission Grégoire, dont l'avis contribua à orienter les actions du IXe Plan (1984-1988), fut unanime sur la nécessité de rénover l'existant et de finir les actions engagées (hypothèses 1 et 2). Mais elle resta partagée sur l'intérêt d'achever, au cours du IXe Plan, une première tranche de l'extension du réseau à grand gabarit, alors même que cette tranche était située dans les vallées. Le motif invoqué : ces équipements seraient peu rentables alors que leur construction consommerait jusqu'à 75 % des crédits de la voie d'eau.